(1978- )
Fabian Göranson est un illustrateur et auteur suédois de bandes dessinées publiées dans plusieurs journaux et magazines de son pays. Il est aussi l’auteur de quatre romans graphiques dans sa langue maternelle : Gaskriget (2006), Kirurgi(2008), Inferno (2010). Son quatrième ouvrage, Un rêve d’Europe, paru en 2018 pour le suédois, et en 2019 pour la traduction française de Sophie Jouffreau, mérite que l’on s’y attarde pour le traitement spécifique de la question européenne.
En effet, durant l’été 2017, l’illustrateur a parcouru l’Europe accompagné de son ami Daniel Berg avec l’objectif de comprendre pourquoi les populations européennes s’effondrent sous le poids de la crise migratoire et du chômage, et pourquoi cet espace géographique et identitaire se montre impuissant devant ce que l’auteur-narrateur considère être la montée du racisme et de la xénophobie à la faveur de discours populistes.
Aussi Un rêve d’Europe a-t-il été présélectionné en 2019 dans la catégorie « roman » du Prix du Livre Européen, un prix récompensant chaque année un roman et un essai exprimant une vision positive de l’Europe. En effet, Fabian Göranson est en phase avec les valeurs prônées par les instances de UE.
Fort d’une approche cosmopolite et transfrontalière de l’Europe, le narrateur quitte Stockholm pour un périple européen. Ce voyage permet de croiser les témoins d’un continent en mutation et, selon lui, pas dans le bon sens. À chaque étape, à la faveur de rencontres, de témoignages, de dialogues interculturels et d’interrogations personnelles, Fabian décrit un continent tenaillé entre l’héritage civilisationnel et le repli identitaire. Il se rend compte que « (…) Les étrangers sont appelés ennemis dans toutes les langues anciennes… Les deux concepts utilisent le même mot » (Göranson, 2019 : 9), avant de noter l’arrivée d’une chaloupe bondée de migrants illégaux en Méditerranée.
Foncièrement multiculturaliste, Göranson s’avère très sensible au drame de la crise migratoire et aux droits de l’homme (idem : 94-95), et manifeste une tolérance envers les mutations sociétales : mouvances LGBTI, famille dé/recomposée (idem : 215-216), réseaux sociaux, etc. À Nantes, il évoque le commerce triangulaire atlantique (idem : 76) expliquant la prospérité de la ville : « Si je comprends bien, Nantes tient sa richesse d’un commerce entre individus qui n’y ont jamais mis les pieds ? » (idem : 76), alors que le passage par Rome suscite une réflexion sur le déclin de la civilisation occidentale. Dans une vignette, Fabian regrette « Un continent qui, jadis, conquit le monde et qui, à présent, se contente de tomber dans l’oubli » (idem : 138).
Ce roman graphique procure une image ambigüe de la présence islamique croissante en Europe. En effet, les musulmans que Fabian croise renvoient au drame du déplacement de populations en raison du drame de la guerre en Syrie. À Athènes, les deux compagnons aperçoivent des estropiés syriens errant dans les rues et font la connaissance d’une plasticienne réfugiée en Allemagne pour fuir l’État Islamique, alors que Die Zeit superpose sciemment la carte de Damas sur celle du Berlin de la guerre froide (idem : 26).
Toutefois, à Bruxelles, l’auteur n’évite pas le souvenir des attentats de Zaventem à la faveur d’une séquence de vignettes sur sa rencontre avec Teresa, reporter à la Commission européenne, ainsi que le climat sécuritaire hystérique régnant dorénavant dans les métropoles européennes (idem : 68), tandis que le passage par Paris est l’occasion d’évoquer les principes de laïcité et d’assimilation propres à la France.
En outre, Göranson fait une réflexion sur le passé dictatorial européen (« L’Espagne, le Portugal et la Grèce venaient à peine de se libérer du joug effroyable des juntes fascistes ») (idem : 94) pour le relier au contexte fascisant de beaucoup des nations européennes aujourd’hui, même au sein de l’UE (« Et aujourd’hui, où va-t-on ? ») (idem : 94), même s’il reconnaît que l’Europe demeure un havre de paix au milieu d’autres théâtres de guerre et de misère hors de ses frontières (idem : 95).
À Athènes, les deux bourlingueurs entendent des témoignages poignants sur le mécontentement populaire et l’impact de la crise des dettes souveraines (idem : 142-143), avant de remonter vers le nord, en passant par les Balkans et l’Europe de l’Est. C’est l’occasion d’évoquer une Europe à tradition soit dictatoriale, soit populiste, et de critiquer la politique souverainiste de Viktor Orban (idem : 171), alors que George Soros, le mécène des causes internationalistes, est présenté positivement : « Soros est europhile, et en faveur d’une société libérale. Ça suffit au gouvernement [hongrois] pour faire campagne contre lui » (idem : 172).
En somme, Fabian Göranson porte un regard lucide, mais pessimiste sur le destin de l’Europe. De retour chez lui, il exprime une impression alarmiste sur l’avenir du continent : « Automatisation et globalisation. Dérèglement climatique et populisme… » (idem : 205).
Anthologie (d’après des vignettes)
J’étais à l’aéroport pendant l’attentat l’an dernier. À quelques mètres des explosions (…). Tu sais, quand on m’envoie à l’étranger pour un reportage, je suis sur le qui-vive. Ça m’est déjà arrivé de prendre des risques, mais dans le feu de l’action, on n’y pense pas (…). Après les attentats, Bruxelles était sous le choc. La ville servait de base aux terroristes pour planifier des attentats en France, mais elle n’avait jamais été directement ciblée (Göranson, 2019 : 63-64).
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Alors certes, la démocratie est sur une mauvaise pente dans bon nombre d’entre eux [pays européens], mais il suffit de passer les frontières de l’Europe pour apprécier la différence (idem : 95).
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Un continent qui, jadis, conquit le monde et qui, à présent, se contente de tomber dans l’oubli (idem : 138).
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En même temps, on ressent comme un malaise à se dire que la Hongrie est dirigée par l’un des partis d’extrême-droite les plus antidémocratiques d’Europe (idem : 171).
Ouvrage sélectionné
Göranson, Fabian (2018 [2019]). Un rêve d’Europe, Tarnac, Rackham.
Bibliographie critique
La bibliographie critique sur l’œuvre de Fabian Göranson est exclusivement disponible en suédois, ce qui nous la rend inaccessible.
Duarte, Isabel Margarida & Outeirinho, Maria de Fátima (2018). « Qu’en est-il du roman graphique portugais ? Enjeux linguistiques et culturels », Cahiers d’Études Romanes, nº 37, p. 7-16.
Martignan, Maud (2018). « Nous sommes l’Europe », Le Nouveau Magazine Littéraire, nº 5, mai, p. 24-43.
Groensteen, Thierry (2012). « Roman graphique », Neuvième art 2.0, http://neuviemeart.citebd.org/spip.php?article448
José Domingues de Almeida
Como citar este verbete:
ALMEIDA, José Domingues de (2021), « FABIAN GÖRANSON », in A Europa face à Europa: prosadores escrevem a Europa. ISBN: 978-989-99999-1-6.