(1978-)
Grégoire Polet est un écrivain belge de langue française. Hispaniste de formation, il se sent très inspiré par les expériences urbaines contemporaines, notamment en Espagne où il vit actuellement. Il est d’ailleurs l’auteur de deux romans très remarqués par la critique ayant pour cadre la vie madrilène et barcelonaise dans son effervescence : Madrid ne dort pas (2005) et Barcelona ! (2015). Il est aussi traducteur.
Au Lycée Martin V de Louvain-la-Neuve, il fut le condisciple de l’écrivain Jean-François Dauven. Leurs romans entretiennent manifestement des rapports étroits : romans souvent chorals, écrits au présent de l’indicatif, personnages très nombreux et transposés d’un récit à l’autre, décors exclusivement urbains avec une prédilection pour la représentation de la simultanéité de destins divers.
Si dans Madrid ne dort pas, la capitale espagnole ne représente pas un simple décor, c’est parce qu’elle se fonde sur une sémiotique urbaine et constitue le personnage principal fédérant tous les autres dans leur contingence. De même pour Barcelona !, roman lui aussi polyphonique, donnant à voir plusieurs destins dans la capitale catalane bouillonnante de vie, et ce dans le contexte troublé de la grande crise financière européenne de 2008-2012. Aussi ce roman témoigne-t-il d’une Europe en crise aussi bien économiquement que culturellement, pleine de contradictions, qui a du mal à trouver son unité et qui résiste entre traditions et modernité : « Celestina n’avait pas voulu mettre ça dans le dossier de presse. Parce que bon. Et elle s’était promis d’aller voir la Miona. On lui avait dit que c’était un quartier dangereux, elle avait rétorqué qu’il n’existait plus de coupe-gorge dans l’Europe du XXIe siècle » (2015 : 87).
Mais la question spécifiquement européenne s’affirme explicitement dans un roman plus récent : Tous (2017), présélectionné dans la catégorie romanesque pour le Prix du Livre Européen 2018, un prix récompensant chaque année un roman et un essai exprimant une vision positive de l’Europe. Remarquons que Grégoire Polet est le fils de Jean-Claude Polet, directeur du projet Patrimoine littéraire européen (2008), qu’il fut un des signataires du « Manifeste pour une littérature-monde en français » (2007) et contribua à la publication collective homonyme parue la même année avec un chapitre intitulé « L’atlas du monde » (2007 : 125-134). Or Tous récapitule et prolonge toutes les préoccupations sociales de Polet, ainsi que ses espoirs sur le projet européen.
Partant du développement utopique du pamphlet altermondialiste de Stéphane Hessel Indignez-vous (2010) et du contexte de la crise socio-économique et financière vécue par l’Espagne au début de ce XXIe siècle, Tous démarre avec les « Mémoires de Caroline Gracq », une activiste liégeoise passée par les mouvements politiques MSF et les Indignés. Or ce personnage vit un drame horrible place Saint-Lambert à Liège lors de la tuerie de décembre 2011 : en tentant de ceinturer l’assaillant, Nordine Amrani, elle est la cible d’une de ses grenades qui explose et lui ampute une jambe, un bras et un œil. Cette infirmité finit par lui conférer un statut d’icône activiste dans la lutte en faveur d’un monde meilleur et plus solidaire. Avec deux amis, Romuald Solis et Rémy Thiers, elle crée un mouvement politico-social baptisé « TOUS » (ou le sigle EO, de « Every One ») qui donne nom au roman.
Ce mouvement altermondialiste est censé traverser l’Europe et renverser le vieux monde politico-économique dépassé et en faillite au profit d’une approche et d’une pratique actives, populaires et écologiques de la démocratie participative, de débats ouverts et en continu, à l’instar des ceux qui s’improvisent un peu partout dans certaines villes européennes dans la foulée de la régression sociale engendrée par la crise européenne des dettes souveraines. Il s’agit donc d’un roman à thèse, confus et surchargé d’informations, et au ton utopique, qui nous donne le sentiment qu’un autre monde est possible ou souhaité.
L’argumentaire de rupture de TOUS, amplement relayé sur les réseaux sociaux, s’avère payant. Romuald devient président de la République française, mais n’habite plus l’Élysée. Il sera assassiné. Rémy, lui, dirige la Belgique et en vient à organiser un référendum sur l’indépendance de la Flandre.
Grégoire Polet convoque ainsi plusieurs foyers d’instabilité géopolitique et géostratégique : la crise grecque, le conflit russo-ukrainien, la situation du Moyen-Orient, voire la fusion nucléaire. Dans tous les cas, ces questions majeures se répercutent toujours sur les vies de citoyens particuliers. Ainsi, par exemple, un Polonais a perdu son fils à cause d’une décision d’un diplomate grec au sein d’une Europe intimement interconnectée.
À ce titre, Tous s’avère un récit utopique à thématique européenne évidente dès les premières lignes : « Le renouveau politique de l’Europe, ça y est, le mouvement est lancé » (2017 : 13). Ceci dit, le contenu de ce roman ne peut pas être dissocié de l’opinion de l’auteur, notamment celle qu’il a exprimée dans certains forums. C’est le cas du débat « Faut-il démocratiser l’Europe ? » organisé par le Parlement européen en 2018. L’intervention de Grégoire Polet va dans le sens d’un approfondissement de la construction démocratique européenne
Anthologie
L’Europe paraît insupportablement veule et égoïste. Son confort lui-même, qu’on souhaite pourtant aux autres parties du monde, a quelque chose d’écœurant (2017 : 23).
Et il fallait que le réseau soit européen, car les Indignés s’indignaient peut-être contre l’Union et la gestion européenne, mais ils s’indignaient consciemment ou non en tant que citoyens européens. Le mouvement était essentiellement transnational (2017 : 41).
Je dirai seulement au passage, pour déjà lui donner envie de maigrir, qu’en Europe évolue une jeune femme, je veux dire une jeune organisation, l’Union européenne, un peu plus jeune que vous, Madame ONU (rires), et plus svelte et plus ingambe (2017 : 202).
Les Grecs, au fond, aiment l’Europe, rationnellement et irrationnellement. L’amorce concrète des bouleversements institutionnels à Bruxelles, grâce aux TOUS, créait en fait un appel d’air gigantesque pour l’électorat grec (2017 : 223).
« La meilleure chose que nous ayons à exporter, disait Vanop, nous, l’Union européenne, c’est ce qui fait notre cœur, notre noyau historique, notre trésor propre, notre patente politique absolue : c’est une technique de réconciliation. Qu’est-ce que l’Union européenne ? C’est la machinerie inventée pour attacher deux ennemis mortels dans les liens d’une paix définitive » (2017 : 284).
Bibliographie active sélectionnée
POLET, Grégoire (2005), Madrid ne dort pas, Paris, Gallimard.
— (2007), “L’atlas du monde”, in M. Le Bris & J. Rouaud (Eds.), Pour une littérature-monde, Paris, Gallimard (pp. 125-134).
— (2015), Barcelona!, Paris, Gallimard.
— (2017), Tous, Paris, Gallimard.
Bibliographie critique sélectionnée
ALMEIDA, José Domingues de, “Marcher, Flâner, Écrire… Avec le plan des villes en main: la topophilie urbaine chez Grégoire Polet et Jean-François Dauven”. In A. P. Coutinho, J. Bastos, F. Outeirinho e H. Laurel (Eds.), Espaços literários: poéticas urbanas (pp. 113-127). Porto: ILCML, col. “Libretos”. Disponible sur https://repositorio-aberto.up.pt/bitstream/10216/117759/2/303986.pdf
DETIENNE, Thierry (2015), “Tant de vie-s dans une ville”, Le Carnet et les Instants, https://le-carnet-et-les-instants.net/2015/02/05/tant-de-vie-s-dans-une-ville/ (disponible le 20/03/2020).
— (2015), “En lettres capitales”, Le Carnet et les Instants, https://le-carnet-et-les-instants.net/2015/06/04/polet-madrid-ne-dort-pas/#more-939 (disponible le 20/03/2020).
— (2017), “Juste des jours meilleurs”, Le Carnet et les Instants, https://le-carnet-et-les-instants.net/2017/02/22/polet-tous/#more-12919 (disponible le 20/03/2020).
Sitographie
https://www.ilclivrosdigitais.com/index.php/ilcld/catalog/view/16/11/83-1 (disponible le 20/03/2020).
https://www.chronicart.com/livres/gregoire-polet-barcelona/ (disponible le 20/03/2020).
https://www.actualitte.com/article/livres/tous-gregoire-polet-patauger-dans-une-europe-de-jours-meilleurs/69865 (disponible le 20/03/2020).
José Domingues de Almeida
Pour citer cette entrée:
ALMEIDA, José Domingues (2020), « Grégoire Poulet », in L’Europe face à l’Europe: les prosateurs écrivent l’Europe. ISBN: 978-989-99999-1-6. https://aeuropafaceaeuropa.ilcml.com/fr/entree/gregoire-polet-2/